Caractéristiques des populations de mildiou de la pomme de terre et de la tomate en France en 2022 : résultats principaux et conséquences
L’agent du mildiou de la pomme de terre et de la tomate, Phytophthora infestans, reste une menace majeure en production, tant pour les agriculteurs et maraichers que pour les jardiniers amateurs. De nouveaux génotypes ou lignées clonales apparaissent régulièrement, en réponse à des variations environnementales ou agronomiques. Présent dans et aux abords des cultures (parcelles de production, jardins de particuliers, tas de déchets aux abords des champs, repousses), il peut initier des épidémies à partir d’une multitude de réservoirs potentiels d’inoculum. Aussi, les évolutions profondes, mais souvent rapides, des populations du parasite impactent directement le déploiement efficace de méthodes durables de lutte.
Depuis 2013, grâce à la mobilisation des acteurs régionaux (réseau BSV, chambres d’agriculture, instituts techniques, producteurs de plants, coopératives, négociants, industriels, CETA, etc…) et au soutien scientifique d’INRAE, un suivi annuel des populations de P. infestans est organisé en France pour surveiller ces évolutions. Cette épidémiosurveillance repose sur :
- une collecte simplifiée d’échantillons biologiques, par simple écrasement d’un tissu symptômatique sur une carte FTA® permettant de fixer et de conserver l’ADN de l’échantillon ;
- une caractérisation génotypique du parasite, à partir de l’ADN contenu sur ces cartes. Ceci fournit l‘empreinte génétique de chaque individu, et ainsi l’identification des principales lignées clonales et variants nouveaux présents sur le territoire.
Cette méthode d’identification étant partagée au niveau européen, les données françaises peuvent être aisément mises en regard de celles des pays voisins, ce qui permet de mieux tracer et comprendre les changements affectant les populations du parasite. La compilation à l’échelle européenne est effectuée et rendue publique tous les ans sous forme de cartes interactives par le réseau EuroBlight: https://agro.au.dk/forskning/internationale-platforme/euroblight/pathogen-monitoring/genotype-map
Quelques résultats marquants pour la campagne 2022
Une épidémie faible et tardive
Après une campagne 2021 marquée par des épidémies d’une intensité exceptionnelle, 2022 s‘est caractérisée au contraire par une quasi-absence du mildiou. Les précipitations du mois de juin ont provoqué des démarrages d’épidémies, mais la sécheresse et les températures très élevées qui ont régné sur la totalité des régions françaises à partir du mois de juillet et jusqu’après le 15 août ont totalement arrêté ces attaques. Ce n’est que dans la deuxième quinzaine d’août, puis en septembre que l’activité épidémique a repris, assez modérément, alors que beaucoup de cultures étaient déjà défanées ou au stade de la récolte. Les résurgences de fin de saison ont parfois amené à des attaques sur tubercules, mais celles-ci sont restées le plus souvent circonscrites et maitrisées.
Une régression des lignées ‘historiques’ au bénéfice de génotypes nouveaux
Cette très faible pression de maladie a conduit à une collecte d’échantillons fortement réduite par rapport aux années précédentes, et en particulier à 2021, quelles que soient les régions concernées. L’analyse a donc porté sur un peu plus d’une centaine d’échantillons, contre près de 300 l’année précédente.
Comme le montre la figure ci-dessous, quatre enseignements principaux peuvent être tirés des données de génotypage obtenues :
- la poursuite de la forte progression, dans toutes les régions, de la lignée EU_36_A2 (rose pâle), déjà notée les années précédentes. Cette lignée est actuellement très largement majoritaire, y compris dans des zones comme la Bretagne où elle était précédemment assez peu présente;
- une forte régression des lignées historiques EU_13_A2 (bleu) et EU_6_A1 (rose vif), cette dernière n’étant plus désormais retrouvée qu’en Bretagne, à faible fréquence;
- une poursuite du recul de la lignée EU_37_A2, dont la fréquence est désormais assez faible sauf dans le nord du Bassin Parisien, où elle réussit à se maintenir;
- une extension de la lignée EU_45_A1 (jaune pâle), malgré un nombre d’échantillons restreints. Par contre, nous n’avons détecté aucune occurrence de la lignée EU_44_A1, identifiée en 2021. Ceci n’indique pas nécessairement la disparition complète de cette lignée, compte tenu du nombre limité d’échantillons ayant pu être recueillis.
Fréquence des lignes clonales de Phytophthora infestans dans les différentes régions françaises en 2020, 2021 et 2022. Chaque lignée est représentée par une couleur, et « n » est le nombre d’échantillons analysés pour chaque région. |
A la différence de 2021, la collecte d’échantillons en 2022 ne comporte que très peu d’échantillons provenant de jardins de particuliers, et également très peu d’échantillons de symptômes sur tomate. Il est donc impossible de tirer des conclusions solides relatives à ces deux compartiments, en particulier sur l’évolution de la fréquence de la lignée EU_39_A1, bien présente (en particulier sur tomate) en 2021, mais bien plus rare en 2022.
Quelles conséquences immédiates pour la lutte ?
Caractéristiques des souches françaises. La lignée dominante actuellement, EU_36_A2 ne montre pas de perte de sensibilité aux produits de traitement employés actuellement, à la différence de EU_37_A2 dont la faible sensibilité au fluazinam est désormais bien établie. Sur le plan du pouvoir pathogène, EU_36_A2 se distingue peu de EU_37_A2 pour sa virulence (capacité à contourner des gènes R de résistance spécifique) ; les isolats analysés contournent en moyenne 6 à 8 des 11 gènes R majeurs provenant de Solanum demissum. En revanche, elle semble un peu plus agressive que EU_13_A2 et EU_37_A2 (les moins agressives), mais moins que EU_6_A1. Des travaux britanniques suggèrent que EU_36_A2 semble toutefois avoir une période de latence (temps écoulé entre l’inoculation et l’apparition des premières spores) assez courte, ce qui peut entrainer un enchainement rapide des cycles épidémiques en conditions climatiques favorables ; ceci pourrait expliquer leur expansion rapide en 2021. De plus, ces souches semblent, toujours d’après des observations britanniques, assez agressives sur tubercules, ce qui pourrait favoriser leur conservation hivernale. Toutefois, des essais menés au Rheu ne confirment pas entièrement ces tendances, qui devront donc être affinées sur un échantillonage de souches plus important.
Nous n’avons que très peu d’information sur les caractéristiques des autres lignées détectées dans le suivi, en particulier la lignée émergente EU_45_A1. Les premiers tests réalisés à INRAE suggèrent toutefois que cette lignée a également une agressivité intermédiaire entre celles des lignées historiques EU_6_A1 (très agressive) et EU_13_A2 (assez peu agressive).
Une série de tests pour comparer au laboratoire le pouvoir pathogène des différentes lignées sur un ensemble de variétés présentant des sensibilités variées au champ est en cours. Ce travail devrait apporter des compléments d’information utiles pour valoriser au mieux les donnnées d’épidémiosurveillance dans les combinaisons de méthodes de lutte.
Comparaison avec les populations européennes. Le développement rapide de EU_36_A2, remplaçant EU_13_A2, est visible dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest. Par contre, l’Europe du Nord reste à l’écart de cette tendance, avec le développement d’autres lignées clonales (EU_41_A2, EU_43_A1) et une présence généralisée de populations sexuées issues d’oospores persistant dans les sols. Ces phénomènes de reproduction sexuée sont apparemmenrt rares en France, ce qui simplifie la lutte car les oopsores constituent une source de contamination de long terme, difficile à suivre et difficile à inclure dans les modèles épidémiologiques de prévision des risques.
Il n’est par ailleurs pas anodin de noter que les phénomènes de perte de sensibilité à diverses matières actives tendent à s’accentuer et à s’accélérer: sensibilité faible aux phénylamides chez EU_13_A2, au fluazinam chez EU_37_A2, et désormais suspicions fortes de résistance au mandipropamid chez certaines souches scandinaves de EU_43_A1 (voir l’article récent publié par des collègues danois : https://agro.au.dk/en/current-news/news/show/artikel/kartoffelproduktionen-trues-af-stigende-resistens-hos-kartoffelskimmel-mod-kemiske-bekaempelsesmidler). Même si la lignée EU_43_A1 n’a à ce jour pas été détectée dans les populations françaises, la vigilance s’impose.
La surveillance se poursuivra en 2023, avec l’apport de l’application participative VigiMildiou et de nouveaux outils en développement
Les données de surveillance sont un élément de plus en plus important pour le pilotage de la lutte contre le mildiou. Le dispositif déployé ces dernières années sera donc reconduit en 2023 avec la collaboration des mêmes acteurs. Les personnes en régions souhaitant participer à la collecte des échantillons, sur pomme de terre comme sur tomate, peuvent se rapprocher des contacts indiqués ci-dessous, qui leur fourniront des cartes FTA vierges, un mode d’emploi et les instructions pour l’envoi des échantillons. INRAE continuera pour sa part à assurer le génotypage et la synthèse des résultats.
Nous tenons à remercier l’ensemble des acteurs de terrain pour leur forte implication dans la collecte des échantillons. Leur contribution pemet de continuer le travail déjà réalisé pour suivre en temps réel l’évolution des populations de P. infestans sur l’ensemble du territoire français, mais aussi d’être des intervenants reconnus dans le consortium européen de monitoring des souches de mildiou.
Ce dispositif bénéficiera de deux nouveaux développements, déjà opérationnels ou en cours d’évaluation :
- d’une part, la possibilité de relier très simplement observation du stade épidémique et collecte d’échantillons, grâce à l’application participative VigiMildiou, développée dans le cadre du projet SYNAPTIC (https://ecophytopic.fr/recherche-innovation/proteger/projet-synaptic). Cette application, téléchargeable gratuitement via les plateformes de téléchargement GooglePlay et AppStore (accès direct depuis la page dédiée du portail ephytia : https://ephytia.inra.fr/fr/P/176/VigiMildiou), permet à tous les acteurs, professionnels ou particuliers, de renseigner en quelques secondes et depuis un smartphone la présence de mildiou. Ces observations sont évidemment l’occasion de prélever des échantillons, via les cartes FTA, échantillons qui entreront alors dans le dispositif de surveillance annuelle. C’est donc un moyen pour chacun de contribuer directement à l’effort de suivi des populations de infestans, au bénéfice de tous !
- d’autre part, la mise au point, actuellement en cours de test, d’une méthode d’identification des lignées présentes localement à partir de spores collectées dans l’air via des pièges à spores. La mise au point de cette nouvelle technologie reste à finaliser, mais des premiers essais faits en 2022 semblent prometteurs. A suivre donc !
Contacts
Collecte d’échantillons :
Bretagne
Julie Le Moal (j.lemoal@plantsdebretagne.com);
Arnaud Barbary (a.barbary@plantsdebretagne.com)
Hauts de France, Normandie, Grand Est
Pauline Dewaegeneire (pauline.dewaegeneire@inov3pt.fr)
Clément Mabire (clement.mabire@comitenord-sipre.fr)
Anaïs Toursel (a.toursel@arvalis.fr)
Centre Val de Loire, Pays de la Loire, Nouvelle Aquitaine, Rhônes Alpes
Philippe Laty (philippe.laty@comitecentreetsud.fr)
Autres régions
Guillaume Saubeau (guillaume.SAUBEAU@florimond-desprez.fr)
Denis Gaucher (d.gaucher@arvalis.fr)
Typage, analyse des résultats et rédaction de la note: INRAE, UMR IGEPP, 35653 Le Rheu
Romain Mabon (Romain.Mabon@inrae.fr)
Michèle Guibert (Michele.Guibert@inrae.fr)
Roselyne Corbière (Roselyne.Corbiere@inrae.fr)
Didier Andrivon (Didier.Andrivon@inrae.fr)