Biologie, épidémiologie
- Conservation et source d'inoculum
Eutypa lata est un champignon ubiquiste très polyphage vivant aussi bien à l'état saprophyte que parasite. Il se conserve essentiellement grâce à son mycélium, mais surtout à ses organes de reproduction sexuée, les périthèces présents à la surface des bois morts (figures 1 à 3). Ainsi, tous les ceps, les bras, ou les cornes qui restent en place dans les parcelles, en bout du rang ou mis en tas à proximité des bâtiments d'exploitation pour usages divers, sont autant d'inépuisables sources d'inoculum à l'origine de la contamination des ceps et des vignobles voisins.
Il a aussi été isolé sur de très nombreuses plantes pérennes angiospermes. Au moins 89 plantes hôtes, très différentes, ont été recensées à ce jour. Parmi elles on peut citer de nombreuses espèces forestières (saule), fruitières ou ornementales, notamment des rosacées (Prunus, Malus, Pyrus, ...) et plus récemment Actinidia. Il n'est pas exclu que certaines de ces espèces, cultivées à proximité de parcelles de vigne, puissent contribuer à conserver et multiplier E. lata.
- Sporulation, dissémination
L'humectation du bois favorise la formation et la maturation des périthèces (figures 1 à 3) qui peuvent rester fertiles pendant au moins 3 ans. L'émission des ascospores (figure 4) a lieu deux heures après le début d'une pluie d'au moins 0,5 mm. Elle peut être intensive pendant environ 2 à 3 jours. Le vent assure leur dissémination parfois sur de longues distances. Les ascospores, qui constituent chaque année l'inoculum primaire, sont projetées pendant toute l'année dans les conditions climatiques des vignobles de la façade Atlantique. Soulignons que dans les vignobles où le climat est plus sec (Midi de la France, Californie), on n'observe pas de sporée aérienne pendant l'été. De plus, dans les zones climatiques où la pluviométrie annuelle ne dépasse pas les 250 à 300 mm, la présence de périthèces est rare et l'impact de l'eutypiose généralement faible.
Signalons que ce champignon forme aussi des pycnides et des pycniospores dont la capacité de germination est très faible. Leur rôle épidémique reste à préciser.
- Pénétration dans la plante et invasion de l'hôte
Les ascospores se déposent au hasard sur les ceps, notamment sur les plaies de taille. Elles germent à des températures comprises entre 1°C et 45°C. Le mycélium pénètre les plaies de taille, gagne les vaisseaux du bois, puis les tissus adjacents par les ponctuations environ 4 à 14 jours après les contaminations. Sa progression dans le bois au vignoble peut atteindre 5 cm/an.
Les plaies de taille récentes présentent une réceptivité importante qui diminue progressivement avec l'âge sous l'effet combiné de la cicatrisation des tissus et de la concurrence d'autres micro-organismes pathogènes ou saprophytes occupant la même niche écologique. A l'approche du printemps, les pleurs (écoulement de sève par les plaies de taille) gênent l'installation du champignon, réduisant la durée de réceptivité des plaies de taille.
E. lata, dont l'agressivité peut varier selon les isolats, est capable de coloniser toutes les blessures y compris celles réalisées au printemps lors de l'épamprage ou de l'ébourgeonnage. Mais les plaies de taille d'hiver restent le site de pénétration privilégié. Ajoutons que ce champignon semble spécifique des tissus ligneux car il n'a jamais été retrouvé naturellement dans des organes herbacés ; il est donc très rare de l'isoler à partir de jeunes plants. E. lata n'est pas un champignon transmis par les jeunes plants.
Par la suite, il se propage lentement dans le bois et occasionne une nécrose sectorielle caractéristique en forme de V. Le mode de dégradation du bois observé en microscopie électronique à transmission, montrent que les trois principaux constituants des parois des cellules ligneuses, à savoir la lignine, les celluloses et les hémicelluloses, sont attaquées simultanément chez les cépages sensibles, avec formation de cavités dans les parois, conférant ainsi au bois son caractère cassant. Plusieurs métabolites toxiques impliqués dans les symptômes foliaires, dont l'eutypine, l'eulatinol..., sont produits.
Le cycle biologique de l'eutypiose est très long ; il peut durer de 4 à 8 ans.
- Conditions favorables
De nombreux facteurs culturaux ou environnementaux peuvent influencer le développement de l'eutypiose.
La présence de bois morts (cornes, souches) dans les parcelles ou à proximité constitue un facteur prépondérant de développement de ce dépérissement de la vigne.
La vigueur des ceps a d'abord été citée comme un facteur favorable à l'eutypiose dans les années 1980, car elle oblige les tailleurs à réaliser des plaies de tailles plus nombreuses et plus larges. Plus tard, la vigueur a été plutôt considérée comme un atout car les ceps vigoureux émettent des pampres permettant de les recéper et les restaurer lorsqu'ils sont malades. De plus, les ceps vigoureux supporteraient plus longtemps la maladie que les autres.
Parmi les autres facteurs également favorables à l'eutypiose, citons les formes ou les modes de taille générant des plaies plus ou moins nombreuses et larges. Ces dernières sont particulièrement propices aux pollutions par les ascospores et ensuite à une colonisation aisée des vaisseaux par le mycélium. A cet égard, la transformation des ceps dans les années 80, d'une forme basse en guyot à une forme haute permettant la mise en oeuvre de la vendange mécanique, a entraîné la formation de plaies importantes et ainsi contribué à l'extension de cette maladie. Les formes avec des bras longs (cordons) dépérissent plus lentement que celles avec des bras courts, mais peuvent exprimer plus longtemps les symptômes foliaires.
La disponibilité en eau, facteur indispensable à la croissance de la vigne et de tous les bioagresseurs qui y sont associés, semble un facteur essentiel au développement d'E. lata. On considère généralement que l'expression de l'eutypiose est régulière dans une région dès lors que la pluviométrie atteint 500 mm/an. L'eau (pluie, rosée) est indispensable à la sporulation d'E. lata, mais également à l'expression des symptômes. Les fins d'hiver et les printemps pluvieux ont été souvent signalés comme favorables à de fortes expressions des symptômes foliaires. De plus, des parcelles immergées chaque printemps durant plusieurs années ont montré une aggravation progressive de l'eutypiose.
L'influence exacte de la nature des sols (structure ou texture) sur le développement de l'eutypiose n'est pas encore clairement précisée. Mais il est très probable que la réserve en eau ou la richesse en éléments fertilisants jouent un rôle important. L'influence de la fertilisation est à l'étude. Les sols «chlorosant» et les sols hydromorphes ont déjà été cités comme favorables à cette maladie.